Entre la pression de la société pour consommer des aliments sains, la promotion de régimes alimentaires idéaux, et l’impact des réseaux sociaux, un nouveau trouble alimentaire a émergé, centré sur une fixation excessive pour les aliments considérés comme sains et de haute qualité. Ce trouble est connu sous le nom d’orthorexie, qui est l’obsession de maintenir une alimentation saine. Voici une analyse détaillée avec un spécialiste.
Adopter un régime alimentaire sain est certes une initiative admirable, surtout quand il s’agit de prendre soin de sa santé. Cependant, lorsque cela conduit à s’isoler ou à suivre des règles alimentaires extrêmement strictes pour ne consommer que des produits extrêmement sains, on peut alors parler d’orthorexie. Mais qu’est-ce que cela signifie exactement ?
L’orthorexie, mot issu des termes grecs ‘orthos’ (juste, correct) et ‘orexis’ (appétit), est une obsession compulsive pour la consommation exclusive d’aliments considérés purs, sains et non altérés, précise Christian Richomme, psychanalyste, auteur et thérapeute à Paris.
« Les personnes souffrant de ce trouble tendent à éliminer de leur alimentation tous les produits qu’elles considèrent comme ‘impurs’ ou ‘nocifs’, tels que les aliments transformés, les graisses, les sucres, les additifs, et parfois même certains fruits et légumes non bio », ajoute Christian Richomme.
« Au-delà d’un simple régime restrictif, l’orthorexie a un impact majeur sur la vie sociale et émotionnelle des individus concernés. Les repas, qui devraient être des occasions de plaisir et de partage, se transforment en moments de stress et d’angoisse. La crainte de ‘mal manger’ peut conduire à l’isolement, à la frustration, et même à des carences nutritionnelles importantes », explique-t-il.
Les orthorexiques ne parviennent pas à relativiser et finissent par considérer la nourriture uniquement comme un remède, en oubliant l’importance du goût et du plaisir. Ils sont également très angoissés à l’idée de consommer des aliments qu’ils perçoivent comme ‘mauvais’ pour leur santé.
Une métaphore pour comprendre l’orthorexie : l’eau pure
Imaginez quelqu’un qui choisit de ne boire que de l’eau extrêmement pure. Cette personne commence par filtrer son eau avec des dispositifs toujours plus perfectionnés, éliminant toute trace d’impureté. Rapidement, elle refuse toute eau qui n’a pas été filtrée personnellement. Bientôt, elle devient obsédée par la pureté de chaque gorgée d’eau, passant des heures à vérifier la qualité et s’assurant que rien de polluant, même en minuscule quantité, ne s’y trouve.
Cette personne finit par refuser de boire de l’eau chez des amis, dans des restaurants ou à l’extérieur. Ce qui a commencé comme une préoccupation raisonnable pour une eau propre devient une obsession débilitante. L’orthorexie fonctionne de la même manière, mais avec l’alimentation : ce qui commence par un désir de bien manger se transforme en une contrainte qui domine chaque instant de la vie.
Quels sont les symptômes et les dangers de l’orthorexie alimentaire ?
L’orthorexie se manifeste par plusieurs signes caractéristiques, note Christian Richomme :
- « Préoccupation excessive pour la qualité des aliments ;
- Éviction de catégories d’aliments considérées comme ‘mauvaises’ ou ‘impures’ ;
- Sensation de culpabilité ou d’anxiété après avoir mangé un aliment jugé ‘nocif’ ;
- Rituels alimentaires rigoureux (comme lire attentivement toutes les étiquettes ou préparer les aliments d’une manière spécifique) ;
- Isolement social, en évitant les repas partagés ou en refusant de manger ce qui n’a pas été préparé personnellement ».
Les conséquences de l’orthorexie
L’orthorexie peut entraîner plusieurs conséquences, poursuit Christian Richomme. Les personnes atteintes par l’orthorexie risquent de souffrir de :
- Carences nutritionnelles dues à une restriction excessive d’aliments variés ;
- Perte de poids significative pouvant entraîner des complications de santé ;
- Anxiété sociale, l’alimentation devenant une source constante de stress ;
- Rigidité psychologique, avec un focus sur le contrôle et la perfection.
En vidéo : L’orthorexie, qu’est-ce que c’est ?
Quelles sont les causes de l’orthorexie alimentaire ?
Plusieurs facteurs peuvent favoriser l’émergence de l’orthorexie, explique Christian Richomme :
- « La pression sociétale autour du ‘manger sain’ et la mise en avant des régimes ‘parfaits’ ;
- La valorisation des aliments bio, sans gluten, sans sucre, etc., au détriment d’une alimentation équilibrée ;
- Le perfectionnisme et le besoin de contrôle ;
- L’influence des réseaux sociaux et des médias qui idéalisent un certain modèle de vie saine ».
Qui est touché par l’orthorexie alimentaire ?
Ce trouble concerne principalement les femmes de moins de 25 ans ayant des antécédents d’anorexie. En effet, les personnes ayant des troubles du comportement alimentaire (TCA) tels que l’anorexie ou la boulimie sont susceptibles de développer une orthorexie associée. L’orthorexie est parfois vue comme un trouble obsessionnel compulsif (TOC). Les femmes dans la tranche d’âge de 40 à 50 ans qui surveillent leur alimentation et consomment des produits biologiques sont également souvent touchées. Cependant, comme elle n’est pas considérée comme une maladie psychiatrique, il existe peu de données disponibles sur l’orthorexie et les statistiques sont rares.
Comment prévenir et soigner l’orthorexie : traitements et conseils pratiques
Christian Richomme recommande :
- « D’adopter une approche flexible : il est crucial de se rappeler qu’une alimentation saine ne rime pas avec perfection. Accepter les petites déviations et ne pas se juger harshly pour chaque choix alimentaire est essentiel ;
- De trouver du plaisir dans la nourriture : il est vital de réapprendre à apprécier les repas, sans que chaque bouchée soit soumise à une évaluation critique ;
- De promouvoir la diversité : une alimentation équilibrée est une alimentation variée. Remettre en question les régimes trop restrictifs et réintégrer progressivement certains groupes d’aliments est une étape importante ;
- D’encourager les repas sociaux : partager des repas avec des amis ou la famille, sans culpabilité, peut aider à rompre l’isolement et à redécouvrir le plaisir de manger en société ;
- De consulter un spécialiste : l’intervention d’un professionnel (psychologue, nutritionniste, ou thérapeute spécialisé) est souvent nécessaire pour retrouver une relation saine avec la nourriture. La thérapie cognitive et comportementale (TCC) est particulièrement efficace pour traiter les pensées obsessionnelles et les comportements alimentaires ».
L’orthorexie : une quête d’authenticité qui peut dériver
L’orthorexie est un trouble alimentaire qui, bien que moins connu que l’anorexie ou la boulimie, devient de plus en plus prévalent dans nos sociétés modernes. Ce n’est pas simplement une question de surveiller son alimentation pour maintenir un régime équilibré, mais plutôt une fixation excessive sur la qualité des aliments. Cette obsession de manger « parfaitement sain » peut, paradoxalement, entraîner des conséquences néfastes pour la santé, tant mentale que physique.
L’orthorexie soulève une question complexe : dans notre quête de santé et de bien-être, jusqu’où peut-on aller sans tomber dans l’excès ? Vouloir bien manger est une démarche saine et légitime, mais lorsqu’elle devient une obsession, elle peut causer plus de mal que de bien. Trouver un équilibre, en acceptant que l’imperfection fait partie de la vie, est souvent le premier pas vers une alimentation sereine et diversifiée. Christian Richomme, psychanalyste, auteur et thérapeute à Paris
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